Objectif du module
Dans ce module, vous découvrirez les principales notions nécessaires à la compréhension de la lutte contre les manipulations de l’information (LMI) ainsi que le dispositif étatique mis en place pour appréhender et répondre à cette menace. Ce module servira de base théorique pour l’ensemble du programme.
De l’essor de l’intelligence artificielle en passant par la place croissante des créateurs de contenu et le rôle des algorithmes de recommandation des plateformes, les évolutions dans la manière de produire et diffuser l’information ont rarement été aussi nombreuses. Les pratiques de consommation de l’information se sont également transformées à la faveur des réseaux sociaux et des nouveaux agents conversationnels. Pourtant, dans un contexte international marqué par l’érosion de la confiance des citoyens envers les médias traditionnels et l’utilisation de l’information comme vecteur stratégique de puissance, ces transformations constituent autant de vulnérabilités exploitées par des acteurs malveillants à la recherche de gains géopolitiques, idéologiques ou économiques.
Fort de ce constat, il est important de comprendre ce que sont les manipulations de l’information dans l’espace numérique pour pouvoir les appréhender et y répondre efficacement.
1. Les manipulations de l’information : un labyrinthe sans sortie ?
Grand sujet d’actualité et traitées de manière quasi-quotidienne dans les médias, les manipulations de l’information possèdent leur propre vocabulaire. Les réduire à des « fakes news » est insuffisant pour comprendre leur variété et leur complexité. En effet, les manipulations de l’information représentent unensemble d’actions hostiles visant notamment à diffuser intentionnellement et de manière massive des nouvelles falsifiées, inexactes ou encore associées à de vraies informations pour les rendre crédibles, sorties de leur contexte ou partielles.
Pernicieuses, elles peuvent prendre plusieurs formes et revêtir différents objectifs :
– La désinformation est le fait de diffuser délibérément des informations fausses, incorrectes ou trompeuses dans l’intention de nuire ;
– La mésinformation est le fait de diffuser des informations erronées sans intention de nuire ;
– La malinformation est le fait de diffuser une information basée sur des faits, mais retirée de son contexte d’origine afin d’induire en erreur, de nuire ou de manipuler ;
– La surinformation est la situation dans laquelle se trouve une personne recevant un flux d’information dans une quantité supérieure à ce qu’elle peut assimiler. En conséquence, cela peut créer une anxiété vis-à-vis de l’information, mais aussi porter atteinte à son esprit critique puisque la personne n’a pas le temps d’aller vérifier tous les éléments d’une information. C’est un terrain propice aux pièges des manipulations de l’information.
Favorisée par la transformation de l’espace informationnel numérique, qui constitue aujourd’hui un espace de compétition entre puissances étrangères, il existe à présent une forme spécifique de manipulation de l’information : les ingérences numériques étrangères (INE).
Définie par décret, une ingérence numérique étrangère est un phénomène inauthentique affectant le débat public numérique qui combine les quatre critères suivants :
– Intention : une atteinte potentielle aux intérêts fondamentaux de la Nation, notamment définis par le Code pénal ;
– Contenu : un contenu manifestement inexact ou trompeur ;
– Comportement : une diffusion, ou une volonté de diffusion, artificielle ou automatisée, massive et délibérée ;
– Auteur : l’implication, directe ou indirecte, d’un acteur étranger (étatique, paraétatique ou non-étatique).
Ces dernières années, un nombre croissant de pays ont été ciblés par des campagnes numériques de manipulation de l’information. Les INE constituent une menace sérieuse pour le fonctionnement des sociétés démocratiques.
Apparues d’abord principalement en période électorale pour tenter d’influencer le vote de certains groupes de citoyens, elles s’immiscent désormais dans tous les champs du débat public numérique, exploitant des faits d’actualités ou de société marquants dans le but d’altérer la sincérité des échanges et perturber l’ordre public. Cette nouvelle forme de manipulation de l’information est le résultat de l’arsenalisation de l’espace informationnel numérique.
2. L’espace informationnel numérique : nouveau champ de bataille
À travers les âges et les époques, l’information a toujours été un objet d’influence et de lutte. D’abord partie intégrante du champ physique, les manipulations de l’information se déroulent aujourd’hui en grande partie dansle champ numérique. Avec l’avènement d’internet et l’entrée du numérique dans les habitudes de consommationquotidiennes, ces évolutions propulsent les espaces de discussions à une échelle mondiale. Il est désormais possible de débattre en temps réel avec des personnes de l’autre côté du globe.
Cependant, si l’espace numérique peut par certains aspects s’apparenter à une Agora propice à la discussion et aux débats, il est aussi devenu un nouveau territoire à conquérir pour les puissances et les acteurs hostiles aux fondements de la démocratie. En effet, cet espace numérique permet aux acteurs malveillants de diffuser plus rapidement et plus efficacement des informations manipulées favorables à la poursuite de leurs intérêts. Ces moyens numériques permettent également d’atteindre de nouveaux publics, jusqu’alors inaccessibles dans l’espace physique.
En outre, le retour récent de la guerre aux frontières de l’Europe et la persistance des conflits armés dans le monde transforme l’information en arme au service d’intérêts politiques et stratégiques. La guerre conventionnelle quitte son terrain traditionnel pour investir l’espace numérique. Les manipulations de l’information deviennent ainsi un élément à part entière des menaces hybrides et un vecteur de déstabilisationimportant pour les sociétés démocratiques. Elles sont souvent couplées avec d’autres types d’actions, comme des attaques cyber ou des opérations d’ingérences étrangères dans l’espace public physique.
3. La lutte contre les manipulations de l’information : le fil d’Ariane
Au fil du temps, les manipulations de l’information se sont multipliées et sont devenues de plus en plus complexes à appréhender (profils des auteurs, leurs motivations, leurs modes opératoires etc.). Face à cette menace grandissante, les pouvoirs publics ont pris des premières mesures pour lutter contre les manipulations de l’information.
Un premier pas a été franchi en 2018, lorsque la France a renforcé son arsenal juridique pour faire face au phénomène de manipulation de l’information sur les plateformes numériques, notamment lors des campagnes électorales. Deux lois relatives à la lutte contre la manipulation de l’information ont été adoptées le 22 décembre 2018, donnant de nouvelles prérogatives en la matière à l’Autorité de régulation de l’audiovisuel et de la communication numérique (ARCOM) et au juge des référés.
Par la suite, la France a mis en place un dispositif interministériel de protection et de lutte contre ces menaces, allant du défensif à l’offensif :
• La protection des intérêts fondamentaux de la nation est exercée par le SGDSN, au titre de la lutte contre les manipulations de l’information ;
• La promotion de la France et de ses intérêts à l’étranger est exercée par le Ministère des affaires étrangères au titre de sa fonction d’influence ;
• Le volet offensif est exercé par le Ministère de Armées au titre de la lutte informatique d’influence (L2i). Elle désigne les opérations militaires conduites dans la couche informationnelle du cyberespace.
En parallèle, des efforts sont aussi menés dans le contexte d’une prise de conscience au niveau européen et international. Les manipulations de l’information n’ayant pas de frontières, de nombreux Etats et organisations internationales ont fait le choix de se doter de nouvelles capacités dédiées pour lutter contre ces menaces.
Pour aller plus loin :
Viginum : les ingérences numériques étrangères en ligne de mire – Atelier des médias
L’IA française face aux ingérences étrangères | France Culture
Ce module a été rédigé par les équipes de VIGINUM, le service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères.
La création de VIGINUM, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, par décret n°2021-922 du 13 juillet 2021, est venue compléter le dispositif français de lutte contre les ingérences numériques étrangères. Ce service opérationnel à compétence nationale est rattaché au secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui est en charge de la conduite des missions interministérielles dans le domaine de la défense et de la sécurité nationale. VIGINUM a pour principale mission de détecter et de caractériser les opérations d’ingérence numérique étrangères. Pour accomplir ses missions, VIGINUM mène de méticuleux travaux de recherche et d’investigationen OSINT (recherche en sources ouvertes) qui impliquent d’analyser des données publiquement accessibles sur les plateformes en ligne, parmi lesquelles peuvent figurer des données à caractère personnel. A ce titre, VIGINUM a été autorisé par décret du 7 décembre 2021 à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel.