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Module 3.1

Comment trouver un sujet juridiquement vérifiable ?

Objectif du module

Apprendre à repérer, dans le flot de l’actualité, les énoncés qui relèvent du droit et qui peuvent faire l’objet d’une vérification rigoureuse. Les journalistes sont quotidiennement exposés à des déclarations politiques ou publiques invoquant le droit comme argument d’autorité. Ce module vise à leur donner les outils intellectuels et réflexes pratiques pour reconnaître ces affirmations, comprendre leur portée, et préparer un travail de vérification fiable.

⚖️ 1. Le droit, un terrain d’affirmations trompeuses

Le droit est partout. Dans les débats parlementaires, les campagnes électorales, les réseaux sociaux, jusque dans les commentaires d’actualité. Il est souvent invoqué pour justifier une décision politique, défendre une conviction, contredire un adversaire ou dénoncer une injustice et parce qu’il repose sur des mots précis mais souvent techniques, il confère à celui qui l’utilise une forme d’autorité immédiate : dire « la loi interdit » ou « la Constitution protège » suffit à donner du poids à un argument.

Le pouvoir du langage juridique est aussi sa faiblesse. Dans un espace public saturé d’informations, le droit est régulièrement simplifié, déformé ou instrumentalisé. Une phrase coupée de son contexte, une interprétation approximative d’un texte de loi, une confusion entre le droit français et le droit européen… et une fausse évidence s’impose. Pour les journalistes, cette désinformation est particulièrement piégeuse.

C’est ce qu’on appelle la désinformation juridique : une forme de fausse information qui ne repose pas sur des faits inventés, mais sur une mauvaise lecture du droit.

D’abord parce qu’elle est crédible en apparence : elle s’appuie sur des textes officiels, des mots familiers et des citations d’élus ou d’experts. Ensuite, parce que le droit est un domaine d’autorité : il impressionne, il rassure, il semble intangible. Enfin, parce qu’il s’insinue partout dans l’actualité, qu’il s’agisse de politique, d’écologie, de santé, de sécurité ou d’économie.

Face à cette complexité, le rôle du journaliste n’est pas de devenir juriste, mais de savoir détecter les phrases qui méritent une vérification juridique.

Le but de ce module est donc de donner les réflexes intellectuels et pratiques pour repérer ces affirmations à portée juridique : comprendre quand le droit est réellement en jeu, et quand il est simplement brandi comme un argument.

🔎 2. Qu’est-ce qu’une affirmation juridiquement vérifiable ?

Un sujet juridiquement vérifiable naît toujours d’une affirmation à portée juridique : une phrase, prononcée dans le débat public, qui prétend décrire ce que dit le droit.

C’est une déclaration qui se réfère explicitement ou implicitement à une règle de droit existante, à une obligation légale, à un pouvoir ou à une interdiction. Autrement dit, c’est une affirmation sur le droit positif, le droit en vigueur dans un pays à un moment donné

Ce type d’affirmation se distingue d’une opinion ou d’un jugement moral : elle ne commente pas le droit, elle en affirme le contenu ou les effets. Elle appelle donc une vérification factuelle fondée sur les textes et la jurisprudence, et non sur le débat d’idées.

Un sujet juridiquement vérifiable peut aussi découler d’une promesse politique ou d’un projet de réforme qui interroge sa faisabilité juridique : dans ce cas, il s’agit de vérifier si le projet est compatible avec le droit existant, et à quelles conditions il pourrait l’être.

Si la phrase décrit ce que le droit dit, fait ou permet, alors elle relève du legal-checking. Et c’est là que commence le travail du journaliste : formuler la bonne question juridique pour répondre à son sujet.

Cas pratique

Exemples typiques :

    • « La loi interdit aux maires d’interdire le voile. »

    • « La Constitution protège la liberté d’expression. »

    • « Le Gouvernement peut ignorer une directive européenne. »

Ce qui n’est pas une affirmation vérifiable :

    • Une opinion : « Je pense que cette loi est injuste »

    • Une déclaration sans portée juridique « La dette publique française est abyssale »

    • Un jugement moral : « Cette décision viole les principes de la vie en société »

À retenir – Un propos est juridiquement vérifiable quand il affirme quelque chose sur le droit, non quand il l’évalue.

📖 3. Pourquoi est-ce si difficile à repérer ?

3.1 Le droit comme argument d’autorité

Les responsables politiques invoquent souvent le droit pour appuyer leur discours :

“Je n’ai pas le droit de faire autrement.”
“C’est la loi européenne qui nous oblige.”

Ces affirmations paraissent solides, mais elles reposent parfois sur une lecture partielle ou orientée du droit. Elles méritent donc un examen.

Difficulté : il arrive régulièrement qu’une déclaration ne contienne pas le vocabulaire juridique, car la communication politique est aussi faite pour simplifier des idées parfois complexes. Par exemple : « On va demander à la BCE de prêter à taux 0 ». 

3.2 L’avarice cognitive des journalistes

Les journalistes sont souvent pris dans l’urgence du flux d’information. Ils repèrent plus facilement ce qui confirme leurs intuitions ou semble crédible, sans vérifier l’origine juridique de la phrase.

Exercice 1 — Réflexe de tri

À l’aide de Pluralisme.fr ou sur tout autre outil de veille de votre choix, choisissez trois citations qui traitent du droit. Classez-les selon :

    • Opinion

    • Affirmation sans portée juridique

    • Affirmation juridique

Pour chaque phrase, notez si elle mériterait une vérification juridique (oui/non) et pourquoi.

 

📚 4. Où chercher ces affirmations ?

Les affirmations juridiques se trouvent partout dans le débat public. Elles se nichent dans les espaces où le discours politique, médiatique ou militant prend position sur la loi ou les droits.

Sources principales :

  • Discours et interviews politiques
  • Réseaux sociaux d’élus ou de responsables publics
  • Tribunes et citations dans la presse
  • Vidéos virales ou extraits télévisés
  • Documents de campagne, pétitions, communiqués

La méthode des Surligneurs :
Chaque vérification part d’une phrase repérée dans une veille quotidienne.
Pas d’hypothèse, pas de dossier : une phrase → un énoncé juridique → une vérification.

✏️ 5. Étude de cas : trois exemples issus de l’expérience des Surligneurs

→ Cas 1 : « Est-il possible d’interdire le port du voile dans l’espace public ? »

Contexte : L’interdiction du voile dans l’espace public est une proposition souvent proposée par des députés. Est-ce juridiquement faisable ?

Pourquoi vérifier ? Parce que cette question touche à un champ juridique complexe et sensible, où plusieurs sources de droit s’entrecroisent et parce que cette mesure revient régulièrement dans le débat public.

Résultat : Faux. Interdire le voile dans l’espace public serait considéré comme une mesure disproportionnée à la liberté de conscience, sauf à trouver un motif suffisant d’ordre public affiché dans la loi.

Article à lire chez Les Surligneurs

→ Cas 2 : « Gaza : Israël avait-il le droit d’intercepter les bateaux de la Global Sumud Flotilla ? »

Contexte : Régulièrement, des navires civils ou humanitaires tentent de rejoindre la bande de Gaza pour protester contre le blocus maritime imposé par Israël. Ces flottilles, souvent composées de militants, de journalistes ou de membres d’ONG, sont interceptées par la marine israélienne, parfois en haute mer. L’épisode de la Global Sumud Flotilla, parti d’Espagne avec des drapeaux palestiniens, s’inscrit dans cette série d’actions symboliques et contestataires. Ces opérations soulèvent une question récurrente : jusqu’où un État peut-il exercer son droit d’interception en mer, au nom de sa sécurité, sans violer le droit international ?

Pourquoi vérifier ? Parce que la question touche à la fois au droit international (liberté des mers, droit humanitaire, légalité d’un blocus en temps de conflit) et à un sujet politique hautement polarisant. Entre les partisans d’Israël qui invoquent la légitime défense et ceux qui dénoncent une violation du droit international, le discours public multiplie les affirmations péremptoires. 

Résultat : Faux. Ces interceptions qui ont eu lieu au-delà de la mer territoriale sont illégales au regard du droit de la mer.

Article à lire chez Les Surligneurs

→ Cas 3 : « L’Union européenne a-t-elle autorisé les pays membres à arrêter des journalistes comme l’affirment certains internautes ? »

Contexte : Alors que plusieurs États membres sont accusés de restreindre la liberté des médias et d’intervenir dans le travail des journalistes, l’UE a adopté de nouveaux textes (notamment le Règlement européen sur la liberté des médias, entré partiellement en application le 8 août 2025) qui visent à encadrer et renforcer les garanties pour les journalistes. Certains internautes, souvent anti-UE clament que ce texte permet d’arrêter des journalistes.

Pourquoi vérifier ? Comme souvent, l’affirmation touche à la fois à un enjeu juridique (ce que le droit européen permet ou interdit en matière d’arrestation de journalistes) et à un contexte politique sensible, où des internautes ou partis politiques exploitent la peur d’une dérive autoritaire.

Résultat : Plus compliqué. Si le texte encadre l’arrestation de journalistes dans certaines procédures, il ne crée pas cette possibilité, qui existe déjà ailleurs dans le droit français.

Article à lire chez Les Surligneurs

🏛️ Comment trouver la loi ou le texte applicable

Droit français 

Droit européen 

Droit international et droits humains 

 

Astuce pour mieux comprendre le droit international humanitaire I Testez MARQUEUR, outil développé par Les Surligneurs, un outil utilisant l’IA et nourri par  +6000 références de droit humanitaire international pour aider les journalistes à formuler leur raisonnement juridique

Ce module a été rédigé par Les Surligneurs. Créé en 2017 par des enseignants-chercheurs, avocats, juristes et journalistes, le média Les Surligneurs s’est donné pour mission de vérifier les affirmations juridiques prononcées dans le débat public. Leur méthode, le legal-checking, est une déclinaison du fact-checking appliquée au champ du droit. Elle consiste à confronter les déclarations publiques au droit positif (le droit en vigueur) pour déterminer si ce qui est dit est juridiquement vrai, faux ou à nuancer. Cette pratique s’appuie sur une méthode rigoureuse et interdisciplinaire, dans une rédaction unique en France mêlant journalistes et enseignants chercheurs en droit. Le legal-checking répond à une double exigence : Lutter contre la désinformation juridique, qui repose non sur des chiffres falsifiés mais sur une mauvaise interprétation du droit. Préserver la qualité du débat démocratique, en rendant le droit compréhensible et accessible au grand public.

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