Objectif du module :
Dans ce module, vous en apprendrez plus sur la manière dont les acteurs de la menace informationnelle peuvent instrumentaliser l’écosystème médiatique ainsi que sur les évolutions de l’espace numérique qui permettent à ces derniers de tenter de manipuler l’information et d’altérer l’intégrité des débats en ligne. Vous découvrirez plusieurs modes opératoires informationnels publiquement documentés par VIGINUM qui ont ciblé directement le travail des journalistes.
Un écosystème informationnel dégradé
Un environnement social, économique et informationnel dégradé constitue un terreau fertile pour les manipulations de l’information. Dans un contexte de défiance envers les institutions mais aussi envers les médias « traditionnels », les journalistes représentent aujourd’hui une cible privilégiée pour les acteurs de la menace informationnelle. Afin de bien comprendre la crise de l’information que traverse actuellement les sociétés démocratiques, et comment celle-ci peut être instrumentalisée par les acteurs de la menace informationnelle, il convient d’abord de s’intéresser à ses causes structurelles. Trois d’entre elles méritent d’être soulignées :
1. La concentration des groupes de presse : si l’on ne peut en tirer des conclusions définitives sur le pluralisme éditorial, la concentration de plusieurs groupes de presse dans les mains de quelques personnes favorise des stratégies de captation de l’attention fondées sur des logiques commerciales et d’influence, souvent au détriment de l’investigation journalistique, la neutralité et l’indépendance.
2. L’érosion des modèles économiques de la presse : depuis des années, les modèles économiques de la presse traditionnelle sont fragilisés par les mutations technologiques (essor du numérique et des réseaux sociaux qui permettent un accès gratuit à l’information et une concurrence accrue entre les sources d’information etc…) et sociaux-culturelles (transformation des modes de consommation et d’accès à l’information etc…). Par ailleurs, les recettes publicitaires de la presse écrite ont chuté de 50 % en une décennie, sous l’effet de la captation croissante des revenus par les grandes plateformes numériques. Enfin, la transition numérique de la presse traditionnelle peine à s’accompagner d’un modèle économique pérenne : par exemple, les taux de conversion des lecteurs gratuits en abonnés payants demeurent encore relativement faibles. Il en résulte une baisse des effectifs dans les rédactions, une surreprésentation des contenus à fort potentiel de viralité, souvent émotionnels et/ou polémiques, au détriment de formats longs et du journalisme d’investigation.
3. La fragmentation des audiences : comme mentionné précédemment, de multiples sources d’informations se retrouvent aujourd’hui en concurrence dans l’espace informationnel. L’offre informationnelle est telle que les audiences se trouvent très fragmentées. Elles se structurent et se polarisent bien souvent en fonction des générations et des profils socioculturels.
Faute de pouvoir maintenir un lien de confiance stable avec ces différents publics, les médias traditionnels cèdent du terrain à des “médias alternatifs” aux lignes éditoriales souvent plus polarisées, clivantes et idéologiques. Par ailleurs, on ne peut comprendre la crise de l’information et les défis auxquels sont confrontés les médias traditionnels sans prendre en compte le rôle des réseaux sociaux dans la production et la diffusion de l’information, ainsi que leurs algorithmes de recommandations. Par exemple, il est utile de comprendre que ces algorithmes sont conçus pour maximiser l’engagement, et ainsi, les revenus des plateformes. Cela favorise systématiquement la viralité de contenus émotionnels, sensationnalistes et polarisants.
En outre, la diffusion de ces contenus est facilitée sur les réseaux sociaux. Par un simple clic, il est possible pour un contenu d’atteindre très rapidement des audiences massives et hétérogènes, bien au-delà de la communauté initiale. Les acteurs de la menace informationnelle tirent parti de cette situation dégradée pour mettre en place des modes opératoires informationnels qui ciblent les médias traditionnels et qui tentent de discréditer le travail des journalistes.
En ciblant ces médias, et de ce fait, l’importance de la place de ces derniers dans nos sociétés démocratiques, ces acteurs exacerbent la dégradation du champ informationnel. En brouillant les frontières entre le vrai et le faux, en incitant les internautes à se tourner vers des médias alternatifs, et en instaurant un scepticisme généralisé où le doute envers toute source d’information devient permanent, ces acteurs finissent par éroder la confiance des citoyens dans les processus démocratiques. VIGINUM a documenté plusieurs des techniques, tactiques et procédures (TTPs) employées par les acteurs de la menace informationnelle ciblant les médias.
L’usurpation de vrais médias & la création de faux
1. L’usurpation de l’image de médias et le typosquatting
Le typosquatting est une technique qui a souvent été documentée dans les investigations de VIGINUM. Il s’agit d’un procédé consistant à usurper l’identité de sites web connus en enregistrant un nom de domaine très proche du nom de domaine officiel. Cette technique sert à tromper les internautes peu avertis et s’accompagne souvent d’une usurpation de l’identité visuelle du site web concerné.
Quiz

RAPPORT I Pour répondre à ces questions, aidez-vous du rapport RRN publié en 2023 par VIGINUM. Depuis le printemps 2022, VIGINUM a identifié une campagne numérique de manipulation de l’information ciblant plusieurs Etats européens, dont la France. Cette campagne a pour principal objectif de discréditer le soutien occidental à l’Ukraine, en véhiculant notamment le narratif selon lequel les populations occidentales soutiendraient la Russie. En raison de la place centrale qu’y occupe le média Reliable Recent News, source principale de narratifs précités, elle a été dénommée RRN.
Parmi ces propositions, lequel est le vrai site de France Diplomatie ?
Quelles sont les deux entreprises de marketing derrière RRN ?
En date de la publication du rapport, combien de noms de domaine avaient été identifiés par VIGINUM ?
A savoir I Le site France Diplomatie a été typosquatté en 2023 par le mode opératoire informationnel RRN qui impliquait des acteurs russes.
2. La création de faux médias, faux articles et faux reportages : l’exemple de Storm-
1516
L’une des techniques fréquemment utilisées par les acteurs à l’origine des manipulations de l’information consiste à créer des faux sites d’information et autres médias « alternatifs ». Ces sites peuvent prendre l’apparence de sites de médias « légitimes » proposant une large gamme de contenus, dont des faux articles et faux reportages vidéo (parfois générés avec l’aide de l’IA) centrés sur des narratifs créés de toute pièce ou trompeurs ou encore des images et vidéos sorties de leur contexte etc… Le tout suivant une ligne éditoriale bien souvent clivante et polarisante, cherchant à exacerber les tensions déjà existantes au sein de nos sociétés.

Pour aller plus loin I Visionnez le reportage « C dans l’air » qui évoque notamment le réseau de faux sites créés par John Mark Dougan pour diffuser les narratifs erronés ou trompeurs Trump-Poutine : ils veulent tuer l’Europe.
Dans le cadre de ses investigations, VIGINUM suit des modes opératoires informationnels (MOI) qui ont notamment recours à la création de faux sites d’informations et à la diffusion de faux articles et reportages.
Un exemple documenté par le service est le mode opératoire Storm-1516, qui a fait l’objet d’un rapport public en mai 2025. Storm-1516 est un mode opératoire informationnel particulièrement complexe, persistant et adaptable, qui conçoit et diffuse une large gamme de contenus, et notamment des contenus reprenant les codes de reportages vidéo ou d’articles de presse :
- Des montages photo et vidéo : ceux-ci visent à contrefaire des logos de médias, des affiches de films, des registres publics, des documents gouvernementaux, des factures, des articles de presse ou encore des captures d’écran de réseaux sociaux, notamment pour tenter de « prouver » l’existence de dépenses et de transactions financières compromettantes. Par exemple, Storm-1516 a diffusé, en juillet 2024, une fausse facture visant à faire croire qu’Olena ZELENSKA avait profité d’une visite officielle de Volodymyr ZELENSKY en France pour acheter une voiture de la marque Bugatti, d’un montant de 4,5 millions d’euros. De nombreuses incohérences et imprécisions confirment que le document a été contrefait ;
- Des vidéos impliquant des acteurs amateurs : VIGINUM estime que, pour plus de la moitié des opérations imputées au mode opératoire informationnel Storm-1516, ses opérateurs ont recruté des individus pour enregistrer des voix off, jouer des rôles de lanceurs d’alerte, ou intervenir dans une mise en scène. Exemple : VIGINUM a détecté une vidéo d’une femme se présentant comme une employée du magasin Cartier à New York, où Olena ZELENSKA aurait soi-disant dépensé plus d’un million de dollars à l’occasion d’une visite du président ukrainien ;
- Des vidéos et audios probablement générés via des outils d’intelligence artificielle générative : ces outils d’IA permettent de mettre en scène des individus à visage découvert (et non plus des acteurs apparaissant face cachée) mais aussi d’usurper l’identité de personnalités publiques et d’internautes. Par exemple, VIGINUM a détecté une vidéo accusant la CIA de conduire une ferme à trolls pro-BIDEN à Kyiv incluait très probablement une voix « générée de manière synthétique ». Dans de rares cas, le mode opératoire a également mis en ligne des deepfakes vocaux usurpant l’identité de personnalités politiques, par exemple celle de Barack Obama.

Pour aller plus loin I Analyse du mode opératoire informationnel russe Storm-1516. Depuis la fin de l’année 2023, VIGINUM observe et documente les activités d’un mode opératoire informationnel russe susceptible d’affecter le débat public numérique francophone et européen, connu sous le nom de « Storm-1516 ».
Ce module a été rédigé par les équipes de VIGINUM, le service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères.
La création de VIGINUM, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, par décret n°2021-922 du 13 juillet 2021, est venue compléter le dispositif français de lutte contre les ingérences numériques étrangères. Ce service opérationnel à compétence nationale est rattaché au secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui est en charge de la conduite des missions interministérielles dans le domaine de la défense et de la sécurité nationale. VIGINUM a pour principale mission de détecter et de caractériser les opérations d’ingérence numérique étrangères. Pour accomplir ses missions, VIGINUM mène de méticuleux travaux de recherche et d’investigationen OSINT (recherche en sources ouvertes) qui impliquent d’analyser des données publiquement accessibles sur les plateformes en ligne, parmi lesquelles peuvent figurer des données à caractère personnel. A ce titre, VIGINUM a été autorisé par décret du 7 décembre 2021 à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel.